Après les banques, c’est au tour des Etats d’entrer dans la course vers la blockchain. En France, le Premier Ministre, Monsieur Manuel Valls, vient de déclarer le 6 juillet dernier, lors des « Rencontres financières Paris Europlace », que :
« C’est en droit français que, pour la première fois en Europe, nous allons fixer les conditions juridiques et de sécurité dans lesquelles on pourra réaliser les transactions financières décentralisées sur Internet, ce qu’on appelle le blockchain ». (Source de l’extrait)
Les enjeux, tant économiques que juridiques, sont énormes. Le Gouvernement, qui est sur le point de changer la réglementation, saura-t-il relever les défis qui s’offrent à lui et faire les bons choix ?
Cette déclaration du Premier Ministre pose tour à tour des questions sur la place de la blockchain dans le droit positif français et au sein de l’Union européenne, ainsi que sur les défis qui se posent au pouvoir réglementaire.
I – Etat du droit français concernant la blockchain
En France, l’évolution du droit positif (ensemble des règles juridiques applicables à un moment donné sur un territoire) concernant la blockchain ne résulte pas de dispositions législatives ou jurisprudentielles. Elle est issue de la volonté du pouvoir réglementaire poussé par les enjeux économiques liés à cette technologie révolutionnaire.
Avant l’ordonnance du 28 avril 2016, reconnaissant pour la première fois en droit français une valeur légale à la blockchain, il n’y avait pas de texte spécifique applicable à cette technologie. Tant le Sénat que des représentants de l’Assemblée Nationale avaient jugé que, la technologie étant trop récente, il était trop tôt pour légiférer sur ce domaine et que le droit positif suffisait.
A quelques exceptions près, la France, comme la plupart des Etats dans le monde, n’a commencé à s’intéresser à la blockchain qu’en 2015, lorsqu’un engouement (qui correspond également à l’arrivée de la blockchain Ethereum) a saisi les secteurs bancaires et financiers sur les énormes potentiels de cette technologie (avec toutefois une réserve de taille : si la blockchain était portée aux nues, Bitcoin qui est son fondement était relégué aux enfers du darknet et donc soigneusement oublié).
C’est dans ce contexte que l’ordonnance du 28 avril 2016 sur les bons de caisse a été publiée par le Gouvernement. Ce texte introduit pour la première fois en droit français une définition de la blockchain et reconnaît la légalité de son utilisation pour un domaine très limité, mais porteur, que sont les minibons. Ces titres ont été créés par l’ordonnance pour accorder des prêts aux petites et moyennes entreprises par le biais de plateformes de financement participatif en utilisant la blockchain.
Il est intéressant de noter que le Gouvernement a choisi de recourir à une procédure expérimentale liant deux secteurs économiques en pleine évolution : la blockchain et le financement participatif.
Ces deux secteurs sont emblématiques de la 4ème révolution (celle du numérique) qui touche l’économie mondiale. A la fin de l’année 2015, la France comptait plus de « 45 millions d’internautes, soit 87% de la population ; la même année il y avait dans le monde 3,2 milliards d’internautes […] et 7 milliards d’utilisateurs de mobiles ». « L’emploi salarié dans le secteur numérique a progressé de 2009 à 2014 à un rythme quatre fois plus rapide que l’ensemble de l’économie » et « jamais aucune industrie n’avait créé tant d’emplois aussi rapidement » (Déclarations du Professeur Philippe Le Tourneau en introduction de son ouvrage sur les « Contrats informatiques et électroniques », édition 2016/2017, Dalloz).
Le chômage étant un véritable problème de société, le Gouvernement sous l’influence des milieux économiques a bien compris les énormes potentiels de la blockchain. C’est ce qui explique qu’alors que jusqu’à présent seuls les ministres, Madame Axelle Lemaire et Monsieur Emmanuel Macron, abordaient ce thème, le Premier Ministre s’est pour la première fois exprimé publiquement sur ce sujet. Cette allocution du Chef du Gouvernement montre ainsi une gradation dans l’importance accordée à la blockchain par le pouvoir réglementaire.
Ce discours a été fait devant les membres du réseau Paris Europlace, qui regroupe les principaux acteurs économiques français. Ce réseau est l’une des organisations qui a été consultée pour la préparation de l’ordonnance du 28 avril. Il est également le créateur de l’institut Louis Bachelier, qui a organisé le 12 mai dernier une matinale sur le thème « Blockchain et les autres registres distribués ».
Si les expérimentations sur la blockchain n’ont pas attendu les législateurs nationaux pour être pratiquées, en cas de litige les choses deviennent plus compliquées. Sans régime spécifique applicable, les acteurs du secteur font face à une multitude de règles légales pouvant potentiellement s’appliquer, ainsi qu’à des risques élevés de contentieux. Ils se retrouvent donc dans l’insécurité juridique la plus complète.
Les grands groupes, qui sont particulièrement alertés par les problématiques de sécurité juridique, ne veulent donc pas s’engager sans garantie du Gouvernement. C’est ainsi qu’en avril dernier, la société BNP Paribas Securities Services (dont la maison mère est membre du réseau Paris Europlace) annonçait un accord avec la société SmartAngels afin de permettre aux entreprises et aux investisseurs d’expérimenter la blockchain dans le cadre de la plateforme de financement participatif, sous réserve des agréments du Gouvernement.
L’intervention du Premier Ministre tend ici à rassurer l’écosystème. Des doutes avaient été exprimés sur la volonté réelle du Gouvernement à réguler la matière, car il s’était laissé une marge de manœuvre en soumettant certaines dispositions de l’ordonnance à un futur décret d’application.
Dans le monde hautement compétitif du numérique, le droit est ainsi devenu un facteur de compétition internationale et européenne.
Cet article a d'abord été publié dans le site www.bitcoin.fr